Sénat : une recommandation en opposition avec les attentes des patients.

La recommandation n°4 du rapport n°770 du Sénat, publié le 24 septembre 2024, recommande, « Afin de diminuer le coût de la complémentaire santé pour les assurés qui n’ont pas recours aux médecines dites « douces », [de] rendre optionnelle la couverture des assurés pour ces prestations, et [de] sortir ces garanties du cadre du contrat solidaire et responsable ».

Cette recommandation concerne une catégorie intitulée « médecines douces » associant à l’ostéopathie différentes activités de statuts juridiques variés telles la naturopathie, l’acuponcture ou encore la sophrologie.

La profession d’ostéopathe est réglementée au sens de la directive 2005/36/CE du Parlement Européen et du Conseil du 7 septembre 2005, transposée en droit français par l’ordonnance n° 2008- 507 du 30 mai 2008. Elle relève des professions de la santé au sens de l’article 3 de la directive n° 2011/24/UE du Parlement et du Conseil Européen du 9 mars 2011 relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers. Les ostéopathes ont l’obligation d’être enregistrés auprès de l’autorité compétente, l’Agence régionale de santé (ARS), auprès de laquelle ils doivent justifier d’un diplôme délivré par un établissement de formation agréé par le ministre en charge de la santé.

La profession d’ostéopathe bénéficie d’un niveau de preuve scientifique croissant et fait l’objet d’une réelle adhésion du public. 53 % des Français déclaraient en mai 2024 avoir consulté un ostéopathe dans les 5 dernières années, 84 % d’entre eux affirmant même que l’ostéopathie est importante pour se sentir en bonne santé. Ils étaient enfin 71 % à considérer en 2019 que la prise en charge des soins ostéopathiques par les organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM) était insuffisante1.

Les arguments invoqués par le Sénat et certaines professions de santé pour justifier l’exclusion des actes d’ostéopathie des contrats solidaires et responsables reposent sur une évaluation discutable des niveaux de preuve de la médecine ostéopathique en comparaison d’autres disciplines thérapeutiques.

Selon Fabrice Berna seuls 10 % des traitements de « médecine conventionnelle » évalués dans des études cliniques disposent d’un haut niveau de preuve ; plusieurs prescriptions courantes n’ont aucune efficacité démontrée comparativement au placebo2

Joshua R. Zadro montre de son côté que la proportion de masseurs-kinésithérapeutes (physical therapists en anglais) proposant des traitements à l’efficacité démontrée est inférieure à 50 %, tandis qu’ils sont de plus en plus nombreux à réaliser des traitements de valeur inconnue3. Arnaud Bruchard pour la France confirme la difficulté des masseurs-kinésithérapeutes à mettre en œuvre des traitements scientifiquement validés4.

Des travaux publiés en 2023 démontrent de leur côté l’intérêt que portent les ostéopathes aux pratiques fondées sur les preuves5 ; une méta-analyse énumère la même année les indications pour lesquelles les bénéfices de l’ostéopathie sont confirmés6. Une publication de 2024 montre l’efficacité d’une prise en charge ostéopathique sur des patients souffrant de lombalgies sur le lieu de travail, celle-ci permettant une diminution de près de 50 % du nombre et de la durée des arrêts de travail, ainsi qu’une réduction significative de la douleur et de l’impotence fonctionnelle7.

Les contrats solidaires et responsables représentant 96 % des contrats d’assurance maladie complémentaire, la mise en œuvre effective de la recommandation n°4 du rapport précité conduirait à une diminution significative du nombre d’assurés bénéficiant d’une prise en charge pour les consultations d’ostéopathie. Une telle évolution se traduirait par le renoncement d’une partie d’entre eux aux soins. Or selon Eric Chenut, Président de la Mutualité Française, qui s’exprimait le 7 octobre sur une chaîne d’information, « L’ostéopathie est quelque chose de demandé par nos adhérents ».

Le renoncement d’une partie des Français aux soins ostéopathiques entraînerait par ailleurs un transfert de dépenses du régime complémentaire vers le régime obligatoire, alourdissant ainsi le déficit de la sécurité sociale.

L’ostéopathie constitue une offre thérapeutique et préventive sûre en matière de troubles fonctionnels. Au moment où la prévention apparaît comme une nécessité incontournable, que le temps d’accès aux soins relève d’un enjeu croissant de santé publique, exclure les consultations ostéopathiques du panier de soin des OCAM ne semble pas cohérent.

Une telle démarche romprait enfin le principe de la mutualisation solidaire des risques qui prévoit que les membres d’un groupe consentent au financement d’un risque dont la survenue n’est pas certaine pour eux. Si le remboursement des actes d’ostéopathie était soumis à la souscription d’une option surcomplémentaire, dès lors que les patients susceptibles d’avoir besoin de ces soins – les patients habituels des ostéopathes – seraient potentiellement les seuls souscpripteurs de ces options, le montant de leur cotisation annuelle s’avèrerait sans aucun doute dissuasif.

Le renoncement aux soins serait en conséquence important, augmentant du même coup l’inégalité d’accès aux soins, et remettant en question la liberté individuelle de choisir la nature de ses soins.


Accéder ici à l’analyse complète de l’enjeu de la recommandation du Sénat.

  1. Sondages réalisés par Odoxa auprès d’un échantillon représentatif en 2019 puis en 2024 ↩︎
  2. Berna F, Paille F, Boussageon R, Nizard J, Verneuil L. Médecine conventionnelle et pratiques de soins non conventionnelles. EMC – Psychiatrie 2024;0(0):1-8 [Article 37-860-A-90]. ↩︎
  3. Joshua R. Zadro, Giovanni Ferreira, Has physical therapists’ management of musculoskeletal conditions improved over time, Brazilian Journal of Physical Therapy, Volume 24, Issue 5, 2020, Pages 458-462, ISSN 1413-3555, https://doi.org/10.1016/j.bjpt.2020.04.002. ↩︎
  4. Bruchard, A., et al. Evidence-based-practice profile among physiotherapists: a cross-sectional survey in France. European Journal of Physiotherapy, 2022, doi: 10.1080/21679169.2022.2057587 ↩︎
  5. Wagner, Agathe et al. The profile of French osteopaths: A cross-sectional survey, International Journal of Osteopathic Medicine, 2023, doi: 10.1016/j.ijosm.2023.100672 ↩︎
  6. Khalaf ZM, et al. Valid and Invalid Indications for Osteopathic Interventions: A Systematic Review of Evidence-Based Practices and French Healthcare Society Recommendations. Cureus. 2023, doi: 10.7759/cureus.49674 ↩︎
  7. Garret C, Le Glatin L, Sterlingot P, Perrot S, Touizer C, Barberousse H, Cosnard F, Binst M, Acknin C (2024) Impact de séances d’ostéopathie réalisées en entreprise sur les arrêts de travail des salariés souffrant de lombalgies. Douleur Analg 37 : 249-258. doi : 10.1684/ dea.2024.0304 ↩︎